Sunday, June 16, 2019

Recensions/Book Reviews

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In Command: Theodore Roosevelt and the American Military. By Matthew Oyos. (Dulles:  Potomac, 2018. x,  436 pp. $36.95.)
 
Journal of American History, Volume 106, Issue 1, June 2019, Pages 214–215, https://doi.org/10.1093/jahist/jaz260
Published:
01 June 2019
Serge Ricard

    Matthew Oyos's In Command, building on his 1993 Ph.D. research, brushes over a number of diplomatic episodes hitherto well covered by other scholars and concentrates specifically on Theodore Roosevelt’s lifelong interest in, interaction with, and impact on the American military. Oyos brings together the army and the navy in a combined study, effecting a welcome synthesis of two services that were under his authority as president. The primary and secondary sources on the military used by Oyos are extensive and beyond reproach, but he ignores major twenty-first century works that analyze or throw light on Roosevelt’s personality and statecraft, such as Lewis L. Gould’s second edition of The Presidency of Theodore Roosevelt (2011), Gould’s The William Howard Taft Presidency (2009), or J. Lee Thompson’s Never Call Retreat: Theodore Roosevelt and the Great War (2013). Part of this omitted scholarship might have made for more nuanced views here and there, as in the case of the Venezuela crisis or Roosevelt’s “last crusade.”

    The author first offers a standard review of Roosevelt’s youth and his apprenticeship in combat, management, and leadership until the New York governorship—the Rough Rider’s springboard to the White House. With a “new hand on the helm” America was to come of age as a great, modern, imperialist power with a farsighted defense strategy. Roosevelt’s expertise in military matters shined spectacularly as he feverishly set about improving and expanding the navy and, similarly, yet less successfully, pushing reforms to make the army and militia more efficient—always with a keen eye for technological advances and a knack for using the bully pulpit to promote his agenda. Oyos further examines the twenty-sixth president’s efforts to create new institutions of command, with a desire for an enduring legacy: the establishment of the army general staff, his abortive attempt to set up a naval equivalent, and his use of the existing General Board of the U.S. Navy. Roosevelt was always the dabbler, and his passion for warfare led to his involvement with equal energy in discussions over such technicalities and innovations as the respective merits of bayonets and rifles, to the need for “all-big-gun” battleships of the British Dreadnought type, and the promises of submarine technology and flying machines. Throughout, Oyos reveals Roosevelt’s adeptness at sparking or reacting to controversies: the white fleet cruise, charges of defective battleship construction, the removal of the U.S. Marine Corps from sea duty, merit promotions that jumped seniority, the imposition of physical tests, and, ultimately, his militant opposition to WoodrowWilson during World War I.

    Readers are treated to a detailed overview of the modernization and expansion of the American military under the guidance of one of its most qualified commanders in chief. The portrait that emerges is fair, well balanced, and unsparing when it comes to Roosevelt’s love of himself and his ill-advised self-righteous excesses in the face of criticism, as happened with the 1906 Brownsville affair.


Serge Ricard
Sorbonne Nouvelle
Paris, France
 

 

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Serge Ricard, François Vergniolle de Chantal. L’impossible Présidence impériale : le contrôle législatif aux États-Unis. Paris : CNRS Éditions, 2016. 450p. 32 €. ISBN : 978-2-271-07593-2. 

On ne peut s’empêcher de penser à Donald Trump en lisant cet ouvrage qui fait écho en partie par son titre, sinon par son propos, au livre postérieur de Jeremi Suri, The Impossible Presidency : The Rise and Fall of America’s Highest Office (New York : Basic Books, 2017), sur les défis d’une charge devenue trop lourde pour un seul homme à l’ère moderne. François Vergniolle de Chantal offre une réflexion d’envergure, extrêmement riche et documentée, souvent très technique, sur le système politique américain depuis sa fondation. Il souligne l’originalité de l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis et expose en détail ce qui fait sa supériorité sur les régimes parlementaires occidentaux.
La première partie est une étude comparative de la mise en place de nouvelles institutions politiques et de leur évolution et expansion chez les deux républiques sœurs, filles des Lumières, nées des deux grandes  révolutions de la fin du XVIIIe siècle, l’Amérique et la France. L’influence relative du modèle monarchique britannique et du précédent américain sur les constituants français de 1789 ouvre finalement la voie à une  construction « spécifiquement nationale » aux emprunts extérieurs limités. Au-delà de la controverse sur la nature et l’ampleur de ces deux révolutions et leur aspiration commune à l’universalisme, les républicanismes américain et français s’emploient, selon l’auteur, à trouver un équilibre satisfaisant entre les pouvoirs du législateur et ceux du prince ou du président, mais de la Constitution de 1791 à la Ve République, le parcours institutionnel en France est le plus tourmenté.
Aux États-Unis l’ascendance législative au XIXe siècle est renversée à deux reprises au profit d’une présidence forte avec Andrew Jackson, qui se réclame d’un mandat populaire, et Abraham Lincoln, qui s’érige en défenseur de l’Union, jusqu’à ce que Théodore Roosevelt, Woodrow Wilson et, surtout, Franklin Roosevelt posent les bases de la présidence moderne, autonome dans l’action et ultimement « impériale », « bâtie dans un conflit permanent de légitimités avec le Congrès », se dotant des moyens d’agir pour gouverner  et revendiquant un rôle législatif et administratif à part entière, comme par exemple le recours fréquent à des décrets ou accords exécutifs (executive orders, executive agreements).
Une analyse fouillée du bicamérisme américain occupe la deuxième partie de l’ouvrage. François Vergniolle de Chantal décrit par le menu l’évolution historique des deux chambres, les transformations et modifications de leurs fonctionnements respectifs. Il explique les raisons de la formidable sécurité électorale des représentants et la relative précarité des sénateurs. Il démontre que la composition du Sénat (deux élus par État) accorde aux petits États une influence politique sans commune mesure avec leur faible population, au détriment des États les plus peuplés. Dans un contexte de polarisation idéologique l’on constate l’existence d’une coupure entre zones rurales majoritairement blanches et conservatrices et zones urbaines à forte concentration ethnique, demandeuses de réformes sociales, avec un découpage électoral qui favorise le Parti républicain. Contrairement aux apparences et aux accusations d’excès de présidentialisation, le Congrès est un frein puissant avec lequel le chef de l’exécutif américain, « l’homme le plus puissant du monde », doit composer en permanence ; son pouvoir n’est impérial, note l’auteur, que lorsque les deux chambres le veulent bien. Par ailleurs, l’articulation générale des pouvoirs en leur sein s’est modifiée avec la polarisation partisane des dernières décennies qui a contribué à la rationalisation du fonctionnement de la Chambre des représentants et a rendu le Sénat encore plus anarchique, mais seul doté d’un pouvoir de blocage et de contrôle a priori sur l’exécutif avec le filibuster (flibuste), ou sa menace. L’auteur montre que le bicamérisme initial privilégié par les Pères fondateurs, qui voulaient faire de la chambre haute, élue au second degré, une élite stabilisatrice du républicanisme, se transforma plus d’un siècle plus tard en bicamérisme égalitaire intégral avec le XVIIe Amendement et l’élection des sénateurs au suffrage universel (1913). La représentation égalitaire des États sans correction démographique fait des États-Unis une anomalie souvent relevée parmi les régimes représentatifs bicaméraux. Mais c’est surtout sur le caractère procédurier de la chambre haute, notamment depuis les années quatre-vingt-dix, que se concentrent les critiques. Pourtant, la mutation opérée avec l’exacerbation des clivages entre partis et le rôle accru de ces derniers va dans le sens de l’internalisation des « poids et contrepoids » voulue par les conventionnels de Philadelphie au sein même du premier des pouvoirs, le Congrès. De ce fait le Sénat est devenue à maints égards « le véritable pivot des institutions nationales ».
La chambre haute fait l’objet de la troisième partie. François Vergniolle de Chantal déroule l’historique de la transformation du Sénat, de son adoption progressive de règles de fonctionnement et de coutumes au gré des événements, par une sorte d’auto-construction par étapes qui l’éloigne spectaculairement du concept initial des Pères fondateurs et aboutit à ce que d’aucuns célèbrent comme « la plus grande assemblée délibérative au monde ». À la faculté d’examen a posteriori qu’il partage avec la Chambre des représentants s’ajoute un pouvoir de surveillance a priori qui prend souvent la forme d’une menace de filibuster. Le blocage sénatorial est « un obstacle souvent rédhibitoire pour le président » et pour un travail législatif efficace, mais on a pu noter l’assouplissement récent de certaines règles, comme l’adoption de la majorité simple pour la confirmation de la plupart des nominations présidentielles.
Outre l’arme lourde de la destitution (impeachment) le Congrès dispose donc de plusieurs moyens de surveiller les projets et les actions de l’Exécutif, notamment un pouvoir d’enquête dévolu plus particulièrement au Sénat. L’ouvrage en donne de nombreux exemples, autant d’accrocs au « privilège de l’exécutif » (executive privilege). Il s’attache également à traiter du rôle des sénateurs (advice and consent, « avis et consentement ») dans la confirmation ou non des nominations présidentielles (responsables gouvernementaux et administratifs, ambassadeurs, magistrats) et la ratification des traités internationaux — approbation rendue plus difficile par temps de polarisation et de cohabitation (divided government). En politique étrangère le pouvoir de déclarer la guerre partagé entre l’Exécutif et le Législatif s’est étendu considérablement au XXe siècle au profit du « commandant en chef » et le Congrès, souvent contourné, a vu son rôle décliner en proportion inverse de l’accroissement des pouvoirs de guerre du président. Au total, nous dit l’auteur, les checks and balances (« freins et contrepoids ») se portent bien et le déclin du Législatif n’est pas à l’ordre du jour, malgré la croissance exponentielle de l’Exécutif, car « à chaque avancée de la Présidence correspond ensuite un retour du Congrès ». Concurrents en légitimité populaire, ce sont deux pouvoirs indépendants qui se toisent, s’affrontent ou coopèrent dans le cadre d’un système institutionnel pérenne à l’étonnante faculté d’adaptation.
Les États-Unis d’Amérique vivent actuellement sous leur imprévisible et chaotique 45e présidence un test majeur de leurs institutions dans la mesure où un Parti républicain radicalisé domine les trois arènes du pouvoir (Chambre des représentants, Sénat, Maison-Blanche) et est en passe de contrôler sa quatrième composante, le Judiciaire, grâce aux nombreux postes de magistrat vacants dont le Sénat a bloqué le pourvoi sous Barack Obama. Cette situation sans précédent suscite des questionnements auxquels le livre de  François Vergniole de Chantal, fort opportunément, apporte des éléments de réponse. Avec sa mise en perspective historique, cet ouvrage de science politique et de droit constitutionnel, qui fourmille d’analyses et d’informations sur les deux chambres du Congrès et leur interaction avec l’exécutif, peut prétendre au statut de vade-mecum. Il sera extrêmement précieux pour tous ceux, étudiants avancés ou chercheurs, qui veulent comprendre la politique américaine au-delà des mythes, des clichés et des approximations.

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Serge Ricard, « Tony Smith. Why Wilson Matters : The Origin of American Liberal Internationalism and Its Crisis Today. Princeton and Oxford : Princeton University Press, 2017. 332 p. », IdeAs [En ligne], 10 | Automne 2017 / Hiver 2018, mis en ligne le 18 décembre 2017. http://journals.openedition.org/ideas/2185  

   Le livre que Tony Smith consacre au « wilsonisme », connu par ailleurs sous le nom d’« internationalisme libéral », se déroule en deux temps : d’abord l’analyse des origines de la doctrine telle qu’elle se définit sous la plume du 28e président des États-Unis ; ensuite sa résurgence sous Franklin Roosevelt et le rôle essentiel qu’elle a joué dans la conduite de la politique étrangère américaine de Pearl Harbor à l’effondrement de l’Union soviétique, puis le passage dans les années 1990, selon les termes de l’auteur, du stade « hégémonique » de l’ordre états-unien à sa phase « impérialiste » ou « néo-wilsonienne ». Ironie de l’histoire récente, le nouvel hôte de la Maison-Blanche, Donald Trump, prend le contre-pied de cette politique et tourne le dos à l’exceptionnalisme et au messianisme démocratique jusque-là invoqués pour justifier l’instauration d’une Pax Americana.
   Smith entreprend éloquemment de raviver une tradition dont il s’est souvent montré dans ses travaux antérieurs fin exégète et ardent laudateur. Il s’appuie méticuleusement sur les écrits de Wilson pour montrer qu’au moment de son accession à la magistrature suprême ce dernier dispose d’un corps de doctrine cohérent, fruit de trois décennies de réflexion sur l’histoire américaine et britannique, le parlementarisme et la démocratie, à laquelle se mêle l’influence du presbytérianisme. Sa vision politique, pétrie d’« anglo-teutonnisme » et de darwinisme, se révèle en fait extrêmement modérée et réaliste et frappe par son idéalisme mesuré. L’établissement de la démocratie ne se fait pas ex nihilo ; il nécessite un long apprentissage. La Révolution française avec sa tabula rasa et ses excès fait figure de contre-exemple et de repoussoir.
   Selon Tony Smith, les concepts-clés du wilsonisme, pensés comme facteurs de paix et de stabilité dans le monde, sont au nombre de quatre : libre-échange et intégration économique, multilatéralisme assurant une « sécurité collective », leadership éclairé de l’Amérique et, surtout, coopération entre les démocraties. Cependant, avant de théoriser sa vision des relations internationales, dont il voit l’expansion de la démocratie comme le but ultime, Wilson cède au tournant du siècle aux sirènes de l’expansionnisme civilisateur cher à Théodore Roosevelt, que Smith dénomme « impérialisme progressiste », à savoir cette « promotion de la démocratie » par la force mise en pratique avec des bonheurs divers aux Philippines au lendemain de la guerre hispano-américaine, puis, sous sa présidence, au Mexique, en Haïti et à Saint-Domingue. L’élaboration du traité panaméricain de 1915-1916 conduit Wilson, plus kantien que hobbesien, à préciser sa conception du multilatéralisme comme fondement de la sécurité collective et initiateur de démocratie et de paix. Cette vision vient à maturité lorsqu’il fait face au conflit mondial. Elle a été ébauchée dès 1910, il faut le rappeler, par le premier Roosevelt dans son discours devant le comité Nobel de la Paix.
   Avec la Société des Nations, Wilson entend alors bâtir un nouvel ordre mondial substituant au traditionnel équilibre des puissances la sécurité collective. Sa démarche consiste à transposer sur la scène mondiale sa réflexion sur la démocratie en Amérique, sa conviction qu’un gouvernement doit tenir son pouvoir du consentement des gouvernés, son anti-impérialisme et, comme le montrera son attitude envers l’Allemagne vaincue et la révolution bolchevique, sa certitude qu’un peuple culturellement et racialement homogène peut prendre son destin en main et évoluer vers une société de liberté — à condition qu’il dispose de citoyens engagés, dotés d’esprit civique, d’une élite dirigeante favorable à un État de droit et d’une classe moyenne soucieuse de voir ses aspirations prises en compte — mais qu’il est vain de vouloir stopper un mouvement révolutionnaire par l’envoi de troupes étrangères.
   Smith s’attache ainsi à démontrer que la promotion de la démocratie et, partant, de la paix dans le monde est au cœur du projet wilsonien ; pierre de touche de l’internationalisme libéral américain, elle est indispensable à l’établissement, sous l’égide de l’Amérique, d’un système certes bénéfique pour tous, mais dont le but premier est avant tout de garantir la sécurité des États-Unis et de protéger leurs intérêts globaux. Comme il apparaît dans la deuxième partie de l’ouvrage, consacrée au « wilsonisme sans Wilson », le souci de l’auteur est de souligner l’extraordinaire succès et la pérennité d’une vision ambitieuse pour l’Amérique, mais également de corriger un certain nombre de malentendus et d’erreurs d’interprétation. La principale, au dire de Tony Smith, tient aux qualificatifs accolés au wilsonisme — idéaliste, moralisateur, utopique, porteur d’un impérialisme messianique — par nombre de spécialistes de la politique étrangère américaine. C’est faire peu de cas, selon, lui des écrits universitaires de Wilson, de son bilan présidentiel et des espoirs limités qui animaient sa vision prudente des progrès de la démocratie. La preuve de son adéquation au monde du XXe siècle est que nonobstant son échec en 1920 et durant la décennie qui suit, l’internationalisme wilsonien retrouve son attrait lorsque éclate la Deuxième Guerre mondiale, d’autant plus que les hommes alors au pouvoir ont connu et servi le 28e président. L’héritage wilsonien prend alors de multiples formes, notamment l’instauration de 1941 à 1951 des premiers organismes internationaux et, surtout, l’occupation et la démocratisation de l’Allemagne et du Japon, deux réussites majeures dues en grande partie au passé et aux qualités de ces deux peuples — la leçon du wilsonisme, oubliée en Iraq en 2003, étant que la démocratie ne peut fleurir à partir de rien.
   La guerre froide voit l’avènement de l’endiguement du communisme et à cette fin l’alliance avec des régimes antidémocratiques, au nom d’une doctrine « réaliste » et non point « libérale », ce qui n’entache en rien aux yeux de Smith l’héritage wilsonien car les deux approches étaient complémentaires et Wilson lui-même était un « réaliste libéral ». Les internationalistes libéraux pendant cette période manifestaient d’ailleurs un optimisme prudent. Ces régimes autoritaires pouvaient éventuellement être influencés dans le sens d’un assouplissement. Les tensions entre réalistes et libéraux ne manqueront pas, marquées par des excès d’un côté (Iran en 1953, Guatemala en 1954, Chili en 1973) et des naïvetés de l’autre (Kennedy et l’Alliance pour le progrès, Carter et les droits de l’homme), les échecs tenant à ce que Wilson voyait comme essentiel dans la mutation démocratique, au-delà de l’engagement de Washington : le caractère et la nature d’un peuple. Cette donnée peut expliquer les victoires inattendues du « libéralisme » au Portugal, en Espagne et en Grèce entre 1975 et 1985, succès qui consoleront des déboires encourus en Amérique latine et en Asie du Sud-Est.
   La présidence de Ronald Reagan avec sa politique anticommuniste agressive et sa réaction positive aux ouvertures de Mikhaïl Gorbatchev constitue une transition entre la fin de la guerre froide et les révisions apportées à la doctrine internationaliste libérale par les néo-conservateurs dans les années 1990. Démocratie, ouverture des marchés, multilatéralisme, leadership américain — l’esprit du wilsonisme se maintient, mais moins vigoureusement, avec les présidents George H. W. Bush et Bill Clinton. La chute de l’Union soviétique en 1991 et l’optimisme qu’elle engendre dans le camp libéral entraînent la formulation de nouveaux concepts par des néo-libéraux démocrates et leur diffusion par des néo-conservateurs républicains ; ainsi naît le « néo-wilsonisme » qui ouvre à l’internationalisme libéral sa phase « impérialiste ». Smith entreprend dans le chapitre six une sévère analyse théorique, très fouillée, de l’éclosion et du développement dans le milieu universitaire et les cercles du pouvoir de théories néo-wilsoniennes qui vont dominer à partir de 2001, notamment avec la notion de « guerre juste », le droit d’ingérence et la guerre préventive de la « doctrine Bush ». Il note également une myopie aux graves conséquences dans les rapports officiels, le désintérêt pour le matériau humain et le contexte local des expériences de « promotion de la démocratie », d’où les réactions de rejet des valeurs libérales dans le monde arabe et le choc de civilisations ainsi provoqué.
8Il termine par un survol de la pratique néo-wilsonienne sous George W. Bush et Barack Obama prétextant « l’attrait universel de la démocratie », un « devoir de protection » et le fait que « nos intérêts et nos valeurs ne font qu’un » ; il souligne leurs échecs — l’invasion de l’Iraq par Bush et la tragique déstabilisation du Moyen-Orient  au lieu du remodelage annoncé, la faiblesse de la politique d’Obama en Libye et en Syrie, ses mauvais choix lors du « printemps arabe » et sa diplomatie incantatoire (à l’exception de la normalisation des relations avec Cuba et de l’accord sur le nucléaire iranien qui n’étaient pas des initiatives strictement néo-wilsoniennes), le bourbier afghan dans les deux cas — et conclut au dévoiement du wilsonisme et à la nécessité d’un retour aux sources. La transformation de l’internationalisme libéral en une idéologie impérialiste dans les années 1990 a mis en péril les valeurs qu’il prétend défendre ; il n’est que de voir les désastres causés en leur nom dans le monde musulman de l’Afrique du Nord à l’Afghanistan.
   Au terme d’une recherche approfondie, mise en valeur par une argumentation serrée et un texte dense, mais au prix de quelques répétitions, Tony Smith nous livre une étude magistrale, du wilsonisme, de sa cohérence, de son impact sur les relations internationales, de l’usage qu’en firent les successeurs du 28e président, de ses dévoiements et des effets bénéfiques que pourrait produire un retour à la doctrine initiale dont les enseignements restent encore mal connus. Son livre est également une indispensable mise en perspective d’un siècle de politique étrangère américaine.

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