Friday, December 19, 2008

Le Devoir.Com
Édition du mercredi 29 octobre 2008





Teddy McCain ou Franklin Obama ? Un Roosevelt peut en cacher un autre

Serge Ricard



Les analogies historiques fleurissent toujours en période d'élection dans les commentaires des observateurs. Ainsi, de clone de John Kennedy en raison de son charme, Barack Obama est devenu, après l'effondrement boursier, la réincarnation possible en 2008 du Franklin Roosevelt de 1932. Rares sont ceux qui ont noté que son âge le rapprochait aussi de celui qui, devenu président à 42 ans, est le plus jeune de l'histoire des États-Unis, Theodore Roosevelt.

Comme les commentateurs, les deux candidats en lice ont également scruté le passé. Obama, cependant, est celui des deux qui, au départ, a le moins invoqué d'illustres précédents. L'actualité l'obligera finalement à sacrifier lui aussi au rituel des filiations.

Depuis le début de sa campagne, John McCain, par contre, a multiplié les références à Theodore Roosevelt, premier président du XXe siècle (1901-1909), qui succéda le 14 septembre 1901 à William McKinley, assassiné. Le congrès d'investiture républicain a même exhumé des images d'archives plus que centenaires pour appuyer le trait.

D'autres avant lui ont montré la même fascination pour un personnage hors du commun, aristocrate new-yorkais diplômé de Harvard, cow-boy d'adoption, héros de la guerre hispano-américaine à la tête de son régiment de volontaires (les Rough Riders) et Prix Nobel de la paix en 1906. Plus de 80 ans après sa mort et plus d'un siècle après la célèbre bataille de San Juan Hill à Cuba, Bill Clinton réactiva sa légende en lui décernant à titre posthume, le 16 janvier 2001, la Medal of Honor, la plus haute distinction militaire des États-Unis, faisant de lui le premier président à en devenir le récipiendaire.

Les contresens historiques de John McCain

Comment McCain, alors que fait rage la lutte contre le terrorisme international, ne serait-il pas tenté de se réclamer du premier Roosevelt, républicain et héros de guerre comme lui et, qui plus est, adepte de la politique du «gros bâton» en politique étrangère? Pourtant, il y a, en la circonstance, contresens historique et abusive captation d'héritage. En effet, Teddy Roosevelt fut, sur la scène politique de l'époque, l'aiguillon progressiste et interventionniste du «parti de Lincoln» alors dominé par les conservateurs, à l'heure où le démocrate William Jennings Bryan brandissait contre lui l'étendard populiste.

L'héritage novateur de Teddy Roosevelt

Même si le bilan du 26e président en politique intérieure paraît modeste au regard de son zèle réformateur, il demeure sans conteste le premier président écologiste, soucieux de l'environnement et de la préservation des ressources naturelles pour les générations futures. On cherche en vain une quelconque filiation, dans un Parti républicain «droitisé» depuis les années 1980, avec celui de 1901-1912, que Theodore Roosevelt abandonna d'ailleurs pendant quatre ans, faute de se reconnaître en lui après son départ de la Maison-Blanche, pour fonder le Parti progressiste et se présenter sans succès à l'élection de 1912; et on voit mal la ressemblance supposée entre le partisan du forage intensif des gisements pétrolifères américains et l'homme qui donna à la postérité Yosemite et le Grand Canyon, ainsi que des millions d'hectares, soustraits à la cupidité des entreprises minières.

En matière de politique extérieure, le rapprochement est tout aussi dénué de fondement. Roosevelt, nonobstant ses poses guerrières, fut un diplomate avisé et un fin praticien de l'équilibre des puissances, tout autant qu'un «multilatéraliste» avant la lettre. Même sa vision anti-wilsonienne d'un nouvel ordre mondial à l'issue de la Grande Guerre est mal comprise de McCain, qui, dans un article publié dans le numéro de novembre-décembre 2007 de Foreign Affairs, commet un autre contresens historique en proposant une «Ligue mondiale des démocraties», qu'il oppose au projet contrarié de Société des Nations et compare à l'idée rooseveltienne de «Ligue de la Paix» — formée des grandes puissances éprises de paix et conçue en fait par son auteur comme un club de pays «civilisés» et point nécessairement «démocratiques». Ce faisant, il revendique à tort un héritage qui se concrétisa véritablement pendant la Deuxième Guerre mondiale avec la Charte de l'Atlantique de 1941 et la Déclaration des Nations unies de 1942, dues au président démocrate Franklin Roosevelt.

Le poids de Franklin Roosevelt dans la crise

Le recours aux analogies historiques et le positionnement idéologique derrière de grandes figures de leur parti respectif auront finalement été pratiqués par les deux camps. Au fur et à mesure que la crise financière s'est aggravée, Barack Obama n'a pas manqué de souligner le parallèle avec le krach de 1929 et les mesures draconiennes et novatrices du New Deal, s'identifiant ainsi au second Roosevelt, dont il a plusieurs fois emprunté ou paraphrasé la rhétorique et avec lequel il partage éloquence et charisme.

L'occasion était trop belle de s'approprier F. D. R., que l'Amérique n'a pas oublié quand son adversaire plastronnait avec T. R., dont plus personne ne se souvient. La comparaison, à vrai dire, est ici plus probante. Obama, la crise aidant, peut rêver de reconstruire la grande coalition de Franklin Roosevelt (cols bleus, minorités, syndicats) que Nixon et Reagan firent voler en éclats. Il dispose aussi d'une équipe d'économistes qui n'est pas sans rappeler les New Dealers du 32e président.

La situation internationale appelle par ailleurs une nouvelle démarche, plus consensuelle, en vue de régler les problèmes, afin de restaurer la confiance des alliés des États-Unis, mise à mal par l'unilatéralisme de George W. Bush.

L'ombre des Roosevelt sur la Maison-Blanche

La crise financière n'est pas près de se résorber et tous les spécialistes prévoient que seul un traitement de choc pourrait en venir à bout. De tous côtés, on prône une réforme radicale d'un système dont les États-Unis sont l'acteur-clé, mais sa réalisation est suspendue à cette élection.

Quel que soit le nouveau président, le monde inquiet, qui espère un nouveau Bretton Woods, et l'Amérique déstabilisée attendent de lui qu'il soit un nouveau Roosevelt. Dans ce rôle, le démocrate Obama serait plus crédible que le républicain McCain, dont le parti a, depuis les années Reagan, favorisé la déréglementation et encouragé les pratiques spéculatives qui ont abouti au chambardement actuel. Le scénario d'un retour de l'interventionnisme fédéral («plus d'État») paraît davantage écrit pour un démocrate, mais on ne saurait jurer de rien en politique, où beaucoup adorent un jour ce qu'ils ont brûlé jadis.

Ce que l'on peut pronostiquer, quelle que soit l'issue du scrutin, c'est que l'ombre des deux Roosevelt planera sur le débat économique, celle de Franklin bien sûr, mais aussi celle de Theodore, son oncle par alliance et son lointain cousin, dont le «Nouveau Nationalisme» de 1912 inspirera ses anciens partisans dans l'équipe du New Deal vingt ans plus tard. Car Teddy Roosevelt, n'en déplaise à ses admirateurs républicains, fut une exception au sein de son parti et ressembla davantage qu'il ne voulut l'admettre aux démocrates réformistes qu'il combattait.

***

L'auteur est professeur émérite de civilisation américaine à la Sorbonne. Il a notamment publié Théodore Roosevelt: principes et pratique d'une politique étrangère (aux presses de l'Université de Provence) et vient de diriger, avec Pierre Melandri, La Politique extérieure des États-Unis au XXe siècle: le poids des déterminants intérieurs (Paris, L'Harmattan, 2008).

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