Référence électronique
In Command: Theodore Roosevelt and the American Military. By Matthew Oyos. (Dulles: Potomac, 2018. x, 436 pp. $36.95.)
Published:
01 June 2019
Serge Ricard
Serge Ricard
Matthew Oyos's In Command, building on his 1993 Ph.D. research, brushes over a number of diplomatic episodes hitherto well covered by other scholars and concentrates specifically on Theodore Roosevelt’s lifelong interest in, interaction with, and impact on the American military. Oyos brings together the army and the navy in a combined study, effecting a welcome synthesis of two services that were under his authority as president. The primary and secondary sources on the military used by Oyos are extensive and beyond reproach, but he ignores major twenty-first century works that analyze or throw light on Roosevelt’s personality and statecraft, such as Lewis L. Gould’s second edition of The Presidency of Theodore Roosevelt (2011), Gould’s The William Howard Taft Presidency (2009), or J. Lee Thompson’s Never Call Retreat: Theodore Roosevelt and the Great War (2013). Part of this omitted scholarship might have made for more nuanced views here and there, as in the case of the Venezuela crisis or Roosevelt’s “last crusade.”
The author first offers a standard review of Roosevelt’s youth and his apprenticeship in combat, management, and leadership until the New York governorship—the Rough Rider’s springboard to the White House. With a “new hand on the helm” America was to come of age as a great, modern, imperialist power with a farsighted defense strategy. Roosevelt’s expertise in military matters shined spectacularly as he feverishly set about improving and expanding the navy and, similarly, yet less successfully, pushing reforms to make the army and militia more efficient—always with a keen eye for technological advances and a knack for using the bully pulpit to promote his agenda. Oyos further examines the twenty-sixth president’s efforts to create new institutions of command, with a desire for an enduring legacy: the establishment of the army general staff, his abortive attempt to set up a naval equivalent, and his use of the existing General Board of the U.S. Navy. Roosevelt was always the dabbler, and his passion for warfare led to his involvement with equal energy in discussions over such technicalities and innovations as the respective merits of bayonets and rifles, to the need for “all-big-gun” battleships of the British Dreadnought type, and the promises of submarine technology and flying machines. Throughout, Oyos reveals Roosevelt’s adeptness at sparking or reacting to controversies: the white fleet cruise, charges of defective battleship construction, the removal of the U.S. Marine Corps from sea duty, merit promotions that jumped seniority, the imposition of physical tests, and, ultimately, his militant opposition to WoodrowWilson during World War I.
Readers are treated to a detailed overview of the modernization and expansion of the American military under the guidance of one of its most qualified commanders in chief. The portrait that emerges is fair, well balanced, and unsparing when it comes to Roosevelt’s love of himself and his ill-advised self-righteous excesses in the face of criticism, as happened with the 1906 Brownsville affair.
Serge Ricard
Sorbonne Nouvelle
Paris, France
Référence électronique
Serge Ricard, François Vergniolle de Chantal. L’impossible Présidence impériale : le contrôle législatif aux États-Unis. Paris : CNRS Éditions, 2016. 450p. 32 €. ISBN : 978-2-271-07593-2.
On ne peut s’empêcher de penser à
Donald Trump en lisant cet ouvrage qui fait écho en partie par son titre, sinon
par son propos, au livre postérieur de Jeremi Suri, The Impossible
Presidency : The Rise and Fall of America’s Highest Office (New York : Basic Books,
2017), sur les défis d’une charge devenue trop lourde pour un seul homme à
l’ère moderne. François Vergniolle de Chantal offre une réflexion d’envergure,
extrêmement riche et documentée, souvent très technique, sur le système
politique américain depuis sa fondation. Il souligne l’originalité de
l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis et expose en détail ce qui fait sa
supériorité sur les régimes parlementaires occidentaux.
La première partie est une étude
comparative de la mise en place de nouvelles institutions politiques et de leur
évolution et expansion chez les deux républiques sœurs, filles des Lumières,
nées des deux grandes révolutions
de la fin du XVIIIe siècle, l’Amérique et la France. L’influence
relative du modèle monarchique britannique et du précédent américain sur les
constituants français de 1789 ouvre finalement la voie à une construction « spécifiquement
nationale » aux emprunts extérieurs limités. Au-delà de la controverse sur
la nature et l’ampleur de ces deux révolutions et leur aspiration commune à
l’universalisme, les républicanismes américain et français s’emploient, selon
l’auteur, à trouver un équilibre satisfaisant entre les pouvoirs du législateur
et ceux du prince ou du président, mais de la Constitution de 1791 à la Ve
République, le parcours institutionnel en France est le plus tourmenté.
Aux États-Unis l’ascendance
législative au XIXe siècle est renversée à deux reprises au profit
d’une présidence forte avec Andrew Jackson, qui se réclame d’un mandat
populaire, et Abraham Lincoln, qui s’érige en défenseur de l’Union, jusqu’à ce
que Théodore Roosevelt, Woodrow Wilson et, surtout, Franklin Roosevelt posent
les bases de la présidence moderne, autonome dans l’action et ultimement
« impériale », « bâtie dans un conflit permanent de légitimités
avec le Congrès », se dotant des moyens d’agir pour gouverner et
revendiquant un rôle législatif et administratif à part entière, comme par
exemple le recours fréquent à des décrets ou accords exécutifs (executive
orders, executive agreements).
Une analyse fouillée du bicamérisme
américain occupe la deuxième partie de l’ouvrage. François Vergniolle de
Chantal décrit par le menu l’évolution historique des deux chambres, les
transformations et modifications de leurs fonctionnements respectifs. Il
explique les raisons de la formidable sécurité électorale des représentants et
la relative précarité des sénateurs. Il démontre que la composition du Sénat
(deux élus par État) accorde aux petits États une influence politique sans
commune mesure avec leur faible population, au détriment des États les plus
peuplés. Dans un contexte de polarisation idéologique l’on constate l’existence
d’une coupure entre zones rurales majoritairement blanches et conservatrices et
zones urbaines à forte concentration ethnique, demandeuses de réformes
sociales, avec un découpage électoral qui favorise le Parti républicain.
Contrairement aux apparences et aux accusations d’excès de présidentialisation,
le Congrès est un frein puissant avec lequel le chef de l’exécutif américain,
« l’homme le plus puissant du monde », doit composer en permanence ;
son pouvoir n’est impérial, note l’auteur, que lorsque les deux chambres le
veulent bien. Par ailleurs, l’articulation générale des pouvoirs en leur sein
s’est modifiée avec la polarisation partisane des dernières décennies qui a
contribué à la rationalisation du fonctionnement de la Chambre des
représentants et a rendu le Sénat encore plus anarchique, mais seul doté d’un
pouvoir de blocage et de contrôle a priori sur l’exécutif avec le filibuster (flibuste), ou sa menace.
L’auteur montre que le bicamérisme initial privilégié par les Pères fondateurs,
qui voulaient faire de la chambre haute, élue au second degré, une élite
stabilisatrice du républicanisme, se transforma plus d’un siècle plus tard en
bicamérisme égalitaire intégral avec le XVIIe Amendement et l’élection
des sénateurs au suffrage universel (1913). La représentation égalitaire des
États sans correction démographique fait des États-Unis une anomalie souvent
relevée parmi les régimes représentatifs bicaméraux. Mais c’est surtout sur le
caractère procédurier de la chambre haute, notamment depuis les années
quatre-vingt-dix, que se concentrent les critiques. Pourtant, la mutation
opérée avec l’exacerbation des clivages entre partis et le rôle accru de ces
derniers va dans le sens de l’internalisation des « poids et
contrepoids » voulue par les conventionnels de Philadelphie au sein même
du premier des pouvoirs, le Congrès. De ce fait le Sénat est devenue à maints
égards « le véritable pivot des institutions nationales ».
La chambre haute fait l’objet de la
troisième partie. François Vergniolle de Chantal déroule l’historique de la
transformation du Sénat, de son adoption progressive de règles de
fonctionnement et de coutumes au gré des événements, par une sorte
d’auto-construction par étapes qui l’éloigne spectaculairement du concept
initial des Pères fondateurs et aboutit à ce que d’aucuns célèbrent comme
« la plus grande assemblée délibérative au monde ». À la faculté
d’examen a posteriori qu’il partage avec la Chambre des représentants s’ajoute un pouvoir de
surveillance a priori qui prend souvent la forme d’une menace de filibuster. Le blocage sénatorial est
« un obstacle souvent rédhibitoire pour le président » et pour un
travail législatif efficace, mais on a pu noter l’assouplissement récent de
certaines règles, comme l’adoption de la majorité simple pour la confirmation
de la plupart des nominations présidentielles.
Outre l’arme lourde de la destitution
(impeachment) le Congrès dispose donc de plusieurs moyens de surveiller les projets et
les actions de l’Exécutif, notamment un pouvoir d’enquête dévolu plus
particulièrement au Sénat. L’ouvrage en donne de nombreux exemples, autant
d’accrocs au « privilège de l’exécutif » (executive privilege). Il s’attache également à
traiter du rôle des sénateurs (advice and consent, « avis et consentement »)
dans la confirmation ou non des nominations présidentielles (responsables
gouvernementaux et administratifs, ambassadeurs, magistrats) et la ratification
des traités internationaux — approbation rendue plus difficile par temps de
polarisation et de cohabitation (divided government). En politique étrangère le pouvoir
de déclarer la guerre partagé entre l’Exécutif et le Législatif s’est étendu
considérablement au XXe siècle au profit du « commandant en
chef » et le Congrès, souvent contourné, a vu son rôle décliner en
proportion inverse de l’accroissement des pouvoirs de guerre du président. Au
total, nous dit l’auteur, les checks and balances (« freins et contrepoids »)
se portent bien et le déclin du Législatif n’est pas à l’ordre du jour, malgré
la croissance exponentielle de l’Exécutif, car « à chaque avancée de la
Présidence correspond ensuite un retour du Congrès ». Concurrents en
légitimité populaire, ce sont deux pouvoirs indépendants qui se toisent, s’affrontent
ou coopèrent dans le cadre d’un système institutionnel pérenne à l’étonnante
faculté d’adaptation.
Les États-Unis d’Amérique vivent
actuellement sous leur imprévisible et chaotique 45e présidence un
test majeur de leurs institutions dans la mesure où un Parti républicain
radicalisé domine les trois arènes du pouvoir (Chambre des représentants,
Sénat, Maison-Blanche) et est en passe de contrôler sa quatrième composante, le
Judiciaire, grâce aux nombreux postes de magistrat vacants dont le Sénat a
bloqué le pourvoi sous Barack Obama. Cette situation sans précédent suscite des
questionnements auxquels le livre de
François Vergniole de Chantal, fort opportunément, apporte des éléments
de réponse. Avec sa mise en perspective historique, cet ouvrage de science
politique et de droit constitutionnel, qui fourmille d’analyses et
d’informations sur les deux chambres du Congrès et leur interaction avec
l’exécutif, peut prétendre au statut de vade-mecum. Il sera extrêmement
précieux pour tous ceux, étudiants avancés ou chercheurs, qui veulent
comprendre la politique américaine au-delà des mythes, des clichés et des
approximations.
Référence électronique
Serge Ricard, « Tony Smith. Why Wilson Matters : The Origin of American Liberal Internationalism and Its Crisis Today. Princeton and Oxford : Princeton University Press, 2017. 332 p. », IdeAs
[En ligne], 10 | Automne 2017 / Hiver 2018, mis en ligne le 18 décembre
2017. http://journals.openedition.org/ideas/2185
Le livre que Tony Smith consacre au « wilsonisme »,
connu par ailleurs sous le nom d’« internationalisme libéral », se
déroule en deux temps : d’abord l’analyse des origines de la doctrine
telle qu’elle se définit sous la plume du 28e président des
États-Unis ; ensuite sa résurgence sous Franklin Roosevelt et le rôle
essentiel qu’elle a joué dans la conduite de la politique étrangère
américaine de Pearl Harbor à l’effondrement de l’Union soviétique, puis
le passage dans les années 1990, selon les termes de l’auteur, du stade
« hégémonique » de l’ordre états-unien à sa phase « impérialiste » ou
« néo-wilsonienne ». Ironie de l’histoire récente, le nouvel hôte de la
Maison-Blanche, Donald Trump, prend le contre-pied de cette politique et
tourne le dos à l’exceptionnalisme et au messianisme démocratique
jusque-là invoqués pour justifier l’instauration d’une Pax Americana.
Smith
entreprend éloquemment de raviver une tradition dont il s’est souvent
montré dans ses travaux antérieurs fin exégète et ardent laudateur. Il
s’appuie méticuleusement sur les écrits de Wilson pour montrer qu’au
moment de son accession à la magistrature suprême ce dernier dispose
d’un corps de doctrine cohérent, fruit de trois décennies de réflexion
sur l’histoire américaine et britannique, le parlementarisme et la
démocratie, à laquelle se mêle l’influence du presbytérianisme. Sa
vision politique, pétrie d’« anglo-teutonnisme » et de darwinisme, se
révèle en fait extrêmement modérée et réaliste et frappe par son
idéalisme mesuré. L’établissement de la démocratie ne se fait pas ex nihilo ; il nécessite un long apprentissage. La Révolution française avec sa tabula rasa et ses excès fait figure de contre-exemple et de repoussoir.
Selon
Tony Smith, les concepts-clés du wilsonisme, pensés comme facteurs de
paix et de stabilité dans le monde, sont au nombre de quatre :
libre-échange et intégration économique, multilatéralisme assurant une
« sécurité collective », leadership éclairé de l’Amérique et,
surtout, coopération entre les démocraties. Cependant, avant de
théoriser sa vision des relations internationales, dont il voit
l’expansion de la démocratie comme le but ultime, Wilson cède au
tournant du siècle aux sirènes de l’expansionnisme civilisateur cher à
Théodore Roosevelt, que Smith dénomme « impérialisme progressiste », à
savoir cette « promotion de la démocratie » par la force mise en
pratique avec des bonheurs divers aux Philippines au lendemain de la
guerre hispano-américaine, puis, sous sa présidence, au Mexique, en
Haïti et à Saint-Domingue. L’élaboration du traité panaméricain de
1915-1916 conduit Wilson, plus kantien que hobbesien, à préciser sa
conception du multilatéralisme comme fondement de la sécurité collective
et initiateur de démocratie et de paix. Cette vision vient à maturité
lorsqu’il fait face au conflit mondial. Elle a été ébauchée dès 1910, il
faut le rappeler, par le premier Roosevelt dans son discours devant le
comité Nobel de la Paix.
Avec
la Société des Nations, Wilson entend alors bâtir un nouvel ordre
mondial substituant au traditionnel équilibre des puissances la sécurité
collective. Sa démarche consiste à transposer sur la scène mondiale sa
réflexion sur la démocratie en Amérique, sa conviction qu’un
gouvernement doit tenir son pouvoir du consentement des gouvernés, son
anti-impérialisme et, comme le montrera son attitude envers l’Allemagne
vaincue et la révolution bolchevique, sa certitude qu’un peuple
culturellement et racialement homogène peut prendre son destin en main
et évoluer vers une société de liberté — à condition qu’il dispose de
citoyens engagés, dotés d’esprit civique, d’une élite dirigeante
favorable à un État de droit et d’une classe moyenne soucieuse de voir
ses aspirations prises en compte — mais qu’il est vain de vouloir
stopper un mouvement révolutionnaire par l’envoi de troupes étrangères.
Smith
s’attache ainsi à démontrer que la promotion de la démocratie et,
partant, de la paix dans le monde est au cœur du projet wilsonien ;
pierre de touche de l’internationalisme libéral américain, elle est
indispensable à l’établissement, sous l’égide de l’Amérique, d’un
système certes bénéfique pour tous, mais dont le but premier est avant
tout de garantir la sécurité des États-Unis et de protéger leurs
intérêts globaux. Comme il apparaît dans la deuxième partie de
l’ouvrage, consacrée au « wilsonisme sans Wilson », le souci de l’auteur
est de souligner l’extraordinaire succès et la pérennité d’une vision
ambitieuse pour l’Amérique, mais également de corriger un certain nombre
de malentendus et d’erreurs d’interprétation. La principale, au dire de
Tony Smith, tient aux qualificatifs accolés au wilsonisme — idéaliste,
moralisateur, utopique, porteur d’un impérialisme messianique — par
nombre de spécialistes de la politique étrangère américaine. C’est faire
peu de cas, selon, lui des écrits universitaires de Wilson, de son
bilan présidentiel et des espoirs limités qui animaient sa vision
prudente des progrès de la démocratie. La preuve de son adéquation au
monde du XXe siècle est que nonobstant son échec en 1920 et
durant la décennie qui suit, l’internationalisme wilsonien retrouve son
attrait lorsque éclate la Deuxième Guerre mondiale, d’autant plus que
les hommes alors au pouvoir ont connu et servi le 28e
président. L’héritage wilsonien prend alors de multiples formes,
notamment l’instauration de 1941 à 1951 des premiers organismes
internationaux et, surtout, l’occupation et la démocratisation de
l’Allemagne et du Japon, deux réussites majeures dues en grande partie
au passé et aux qualités de ces deux peuples — la leçon du wilsonisme,
oubliée en Iraq en 2003, étant que la démocratie ne peut fleurir à
partir de rien.
La
guerre froide voit l’avènement de l’endiguement du communisme et à cette
fin l’alliance avec des régimes antidémocratiques, au nom d’une
doctrine « réaliste » et non point « libérale », ce qui n’entache en
rien aux yeux de Smith l’héritage wilsonien car les deux approches
étaient complémentaires et Wilson lui-même était un « réaliste
libéral ». Les internationalistes libéraux pendant cette période
manifestaient d’ailleurs un optimisme prudent. Ces régimes autoritaires
pouvaient éventuellement être influencés dans le sens d’un
assouplissement. Les tensions entre réalistes et libéraux ne manqueront
pas, marquées par des excès d’un côté (Iran en 1953, Guatemala en 1954,
Chili en 1973) et des naïvetés de l’autre (Kennedy et l’Alliance pour le
progrès, Carter et les droits de l’homme), les échecs tenant à ce que
Wilson voyait comme essentiel dans la mutation démocratique, au-delà de
l’engagement de Washington : le caractère et la nature d’un peuple.
Cette donnée peut expliquer les victoires inattendues du « libéralisme »
au Portugal, en Espagne et en Grèce entre 1975 et 1985, succès qui
consoleront des déboires encourus en Amérique latine et en Asie du
Sud-Est.
La
présidence de Ronald Reagan avec sa politique anticommuniste agressive
et sa réaction positive aux ouvertures de Mikhaïl Gorbatchev constitue
une transition entre la fin de la guerre froide et les révisions
apportées à la doctrine internationaliste libérale par les
néo-conservateurs dans les années 1990. Démocratie, ouverture des
marchés, multilatéralisme, leadership américain — l’esprit du
wilsonisme se maintient, mais moins vigoureusement, avec les présidents
George H. W. Bush et Bill Clinton. La chute de l’Union soviétique en
1991 et l’optimisme qu’elle engendre dans le camp libéral entraînent la
formulation de nouveaux concepts par des néo-libéraux démocrates et leur
diffusion par des néo-conservateurs républicains ; ainsi naît le
« néo-wilsonisme » qui ouvre à l’internationalisme libéral sa phase
« impérialiste ». Smith entreprend dans le chapitre six une sévère
analyse théorique, très fouillée, de l’éclosion et du développement dans
le milieu universitaire et les cercles du pouvoir de théories
néo-wilsoniennes qui vont dominer à partir de 2001, notamment avec la
notion de « guerre juste », le droit d’ingérence et la guerre préventive
de la « doctrine Bush ». Il note également une myopie aux graves
conséquences dans les rapports officiels, le désintérêt pour le matériau
humain et le contexte local des expériences de « promotion de la
démocratie », d’où les réactions de rejet des valeurs libérales dans le
monde arabe et le choc de civilisations ainsi provoqué.
8Il
termine par un survol de la pratique néo-wilsonienne sous George W. Bush
et Barack Obama prétextant « l’attrait universel de la démocratie », un
« devoir de protection » et le fait que « nos intérêts et nos valeurs
ne font qu’un » ; il souligne leurs échecs — l’invasion de l’Iraq par
Bush et la tragique déstabilisation du Moyen-Orient au lieu du
remodelage annoncé, la faiblesse de la politique d’Obama en Libye et en
Syrie, ses mauvais choix lors du « printemps arabe » et sa diplomatie
incantatoire (à l’exception de la normalisation des relations avec Cuba
et de l’accord sur le nucléaire iranien qui n’étaient pas des
initiatives strictement néo-wilsoniennes), le bourbier afghan dans les
deux cas — et conclut au dévoiement du wilsonisme et à la nécessité d’un
retour aux sources. La transformation de l’internationalisme libéral en
une idéologie impérialiste dans les années 1990 a mis en péril les
valeurs qu’il prétend défendre ; il n’est que de voir les désastres
causés en leur nom dans le monde musulman de l’Afrique du Nord à
l’Afghanistan.
Au
terme d’une recherche approfondie, mise en valeur par une argumentation
serrée et un texte dense, mais au prix de quelques répétitions, Tony
Smith nous livre une étude magistrale, du wilsonisme, de sa cohérence,
de son impact sur les relations internationales, de l’usage qu’en firent
les successeurs du 28e président, de ses dévoiements et des
effets bénéfiques que pourrait produire un retour à la doctrine initiale
dont les enseignements restent encore mal connus. Son livre est
également une indispensable mise en perspective d’un siècle de politique
étrangère américaine.